REGARD SALARIE SUR LA MISE EN PLACE DE
L'ORDRE
Une dialectique professionnelle :
« autonomie-responsabilité »
(CNKS –
Extrait des actas des JNKS BESANCON 2006)
La création
d’un ordre professionnel est pour la masso-kinésithérapie
l’aboutissement d’une longue démarche et vient concrétiser, au moment de
fêter son soixantième anniversaire, un accès à une certaine notoriété :
l’Etat, en déléguant une partie de ses pouvoirs en matière de justice,
lui reconnaît des capacités à administrer et à contrôler son exercice.
« L’ordre des masseurs-kinésithérapeutes veille au maintien des
principes de moralité et de probité indispensables à l’exercice de la
masso-kinésithérapie et à l’observation, par tous ses membres, des
droits, devoirs et obligations professionnels, ainsi que des règles
édictées par le code de déontologie… ».
L’objet de
cette communication est de situer en quoi cette évolution juridique
engage la profession à développer de nouvelles réflexions sociales et à
fonder son exercice sur de nouvelles règles et pratiques
professionnelles : au sein d’une société en mutation technologique
rapide qui se « juridise » (augmentation du nombre des textes) et de
relations qui se « judiciarisent » (augmentation des procédures), la
profession aura la responsabilité de contribuer à mettre en place des
règles et des moyens pour les faire respecter.
Une
profession qui gagne en responsabilité sociale
Les ordres
professionnels sont des personnes morales de droit privé chargées de
gérer, par leurs activités administratives et juridictionnelles, un
service public : ces organisations, spécifiques des professions
libérales (médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes, sages-femmes,
masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues, architectes, avocats,
vétérinaires, experts comptables, géomètres) ont pour mission
essentielle de garantir la qualité du service offert par les
professionnels à leurs clients. Les personnes qui souhaitent exercer ces
professions en France doivent obligatoirement s’inscrire à l’ordre qui
les administre, y compris dans les professions qui comportent des
exercices salariés (à l’exception des professionnels relevant du service
de santé des armées). Le conseil national fixe le montant de la
cotisation qui doit être versée par toutes les personnes inscrites au
« tableau » de l’ordre.
L’erreur
courante est de penser que les ordres ont une mission de représentation
professionnelle : même s’il « peut être consulté par le ministre sur
les questions relatives à l’exercice de la profession »
,
un ordre n’a pas à remplir les rôles d’un syndicat professionnel. « Les
ordres exercent des activités de police : police administrative lorsque
l’ordre fixe les conditions d’exercice d’une profession et police
judiciaire et activité juridictionnelle lorsqu’un professionnel enfreint
les règles d’exercice de la profession ».
Bien que
l’activité et les mesures individuelles soient de nature normative, le
pouvoir réglementaire d’un ordre est extrêmement restreint puisque c’est
le gouvernement qui édicte par Décrets la réglementation de l’exercice,
de l’accès à la profession et le code de déontologie en vigueur. La
légalité des décisions administratives des ordres (accès à l’exercice),
notamment pour les décisions individuelles négatives, peut toujours être
contestée devant le juge administratif, une fois épuisées toutes les
possibilités de recours hiérarchiques internes. Le Conseil d’Etat veille
au strict respect des principes généraux du droit public et il peut même
prononcer des réparations lorsqu’une décision administrative a causé des
dommages.
Les ordres
sont des juridictions administratives spécialisées qui répriment les
manquements commis par les professionnels aux conditions normales
d’exercice de la profession. L’ordre doit sanctionner les contrevenants
et éventuellement les exclure de la profession. Les décisions rendues
par les conseils de première instance (chambre disciplinaire au sein du
conseil de l’ordre régional) sont susceptibles d’appel devant une
chambre disciplinaire nationale présidée par un magistrat de la
juridiction administrative, l’appel étant suspensif. Enfin il est
possible de se pourvoir en cassation devant le Conseil d’Etat contre les
décisions rendues par le juge d’appel.
L’ordre
exerce un contrôle disciplinaire sur ses membres à partir des termes du
Code de déontologie. Celui-ci pose des règles et des principes mais
n’établit pas une liste de délits et de peines s’y rapportant. Les
termes des règles déontologiques laissent souvent une large marge
d’appréciation aux ordres même si les sanctions disciplinaires sont
précisément définies.
Le conseil
régional de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes, conformément à
l’article L 4321-17 du Code de la Santé, va participer à l’organisation
des actions d’évaluation des pratiques professionnelles, en liaison avec
le conseil national et la Haute Autorité en Santé. Le conseil
départemental est chargé de diffuser auprès des professionnels les
règles de bonnes pratiques.
Les deux
principaux griefs faits aux ordres touchent d’une part au « relatif
conservatisme de leur organes dirigeants » et d’autre part à « une
procédure juridictionnelle parfois peu soucieuse des droits de la
défense. Dans ces deux domaines les choses ont changé et les ordres
apparaissent aujourd’hui comme une forme d’organisation professionnelle
apte à promouvoir à la fois le contrôle des pratiques professionnelles
et le développement du service rendu par une profession à une
population. En effet, la représentation des usagers est conforme à
l’esprit de la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades et la
construction de références de bonnes pratiques par une Haute Autorité
indépendante et avec des professionnels habilités par elle, sont des
gages importants pour construire une autorité professionnelle reconnue.
Une
responsabilité qui confère de l’autonomie professionnelle
2006 est
une année d’anniversaire essentielle pour notre profession : elle
correspond à la fois à l’affirmation de la reconnaissance de la place
prise dans les pratiques de santé depuis 60 ans et à la bascule de
l’évolution d’un métier à l’émergence d’une profession au sens
sociologique du terme : pour Wilensky
la définition d’une profession repose sur six critères ordonnés,
chacun d’entre eux étant plus sélectif que le précédent et mis en
œuvre plus tardivement sur le plan historique :
-
être
exercée à plein temps
-
comporter des règles d’activité
-
comprendre une formation et des écoles spécialisées
-
posséder des organisations professionnelles
-
comporter une protection légale du monopole
-
avoir
établi un code de déontologie
Ainsi, les
professions, trouvent dans la mise en place d’un ordre professionnel,
par les délégations de pouvoirs confiées, d’abord la reconnaissance
d’une expertise dans un domaine de leur ressort et ensuite des moyens
pour développer encore davantage une certaine autonomie sociale.
Friedson, à partir de l’étude de la profession médicale dans le système
de santé américain, soulève la question de la légitimité démocratique de
cette tendance à la maximisation de l’autonomie professionnelle : il
montre par exemple, comment les médecins américains sont passés
progressivement d’un pouvoir sur les moyens pour atteindre tel ou tel
objectif aux décisions relatives aux objectifs eux-mêmes, passant ainsi
d’une compétence « limitée à un domaine technique (les maladies et les
traitements)» à une compétence générale dans un champ social (les
politiques de santé) ».
« Tel est le grave défaut de l’autonomie professionnelle : en
permettant la création d’institutions qui se suffisent à elles-mêmes,
elle conduit la profession à une idée trompeuse de l’objectivité et de
la fiabilité de son savoir, ainsi que des vertus de ses membres ; elle
entraîne en outre à se considérer comme la seule à posséder savoir et
vertu, à mettre en doute les capacités techniques et morales des autres
professions, à avoir à l’égard de sa clientèle, au mieux paternaliste,
au pire méprisante. »
Certes les
professions paramédicales ne courent pas les mêmes risques que la
profession médicale puisqu’elles ne disposent d’aucun monopole de
compétence juridique (la légitimité exclusive d’exercer dans un champ
spécifique d’activités).
Toutefois Abott a expliqué les formes de concurrences que se livraient
les professions et a montré comment « les frontières des compétences
sont perpétuellement en débat ».
Aujourd’hui, avec les inquiétudes démographiques concernant les
professions de santé, les rapides évolutions technologiques et
scientifiques, les nécessités d’améliorer la qualité des prestations
offertes dans le cadre d’une maîtrise médicalisée des dépenses de santé,
les transformations des formations professionnelles initiales et
continues, les déplacements de ces frontières continuent de s’opérer :
accès à des droits de prescription, expérimentations de transfert
d’activités et de compétences médicales…
Une
dialectique qui engage la profession vis-à-vis de la société
L’autonomie
et la responsabilité sont les deux faces d’un même phénomène, que l’on
se place à l’échelle de l’individu ou des groupes sociaux.
La
responsabilité désigne le devoir de répondre de ses actes, aux autres et
à soi-même. C’est rendre compte, dire pourquoi et en vue de quoi j’ai
choisi ceci et pas cela… « La responsabilité est la preuve et
l’épreuve de la liberté ». L’autonomie désigne le fait d’être
l’auteur des lois auxquelles j’obéis. L’autonomie fait référence à un
cadre dans lequel je peux me mouvoir librement. « L’autonomie est une
dépendance choisie dans le contexte d’une interdépendance inévitable »
Pour
construire, il est capital de distinguer l’autonomie et le désir
d’indépendance : pour être autonome il faut être capable de poser et de
s’imposer un cadre précis. Lorsqu’une société leur accorde plus
d’autonomie, les professions doivent en retour réfléchir leurs finalités
sociales, les limites de leurs compétences, les nouveaux repères pour
privilégier une éthique de reliance.
Il s’agit de promouvoir la nécessité de rendre compte (notion
anglo-saxonne d’ « accountability ») et de rechercher les règles
nécessaires pour la satisfaction des besoins qui relèvent de leurs
domaines d’exercice. Si dans une jeune profession, les risques de se
situer en « gardien du temple », en « reproducteurs de modèles du
passé » ou en « indépendantistes » existent, chacun sait qu’aujourd’hui,
que la puissance d’une dynamique professionnelle repose d’abord sur des
capacités d’ouverture, d’adaptation et d’innovation. Dans une période où
les modèles de bureaucratie professionnelle décrits par Mintzberg sont
malmenés dans les hôpitaux pour qu’ils se centrent davantage sur
l’usager, il serait paradoxal d’encombrer une profession dynamique d’un
ordre bureaucratique. Les représentations que le corps professionnel se
construira sur sa place et son rôle dans l’environnement en mutation et
sur les attentes et les besoins de la société, auront une importance
capitale. Les défauts de confiance et de courage sont à redouter, car
ils inciteraient à construire des mécanismes de défense, empêchant ainsi
la décentration et la créativité indispensables pour concevoir et
promouvoir de nouvelles pratiques professionnelles.
Les
masseurs-kinésithérapeutes salariés, astreints à payer une cotisation,
ne sont pas, du point de vue juridique, les premiers intéressés par le
fonctionnement juridictionnel d’un ordre professionnel. Pourtant, ils
sont, de par leurs positions dans les organisations de soins et de
formation, placés pour saisir des logiques des transformations
structurelles qui conditionnent directement ou indirectement les
activités et les métiers de réadaptation. Il apparaît essentiel qu’ils
contribuent fortement, aux cotés de leurs collègues libéraux, au
développement des références et du professionnalisme, en privilégiant
l’évolution de la qualité des pratiques et les dynamiques de recherche
et d’innovation, ainsi que le développement des synergies entre les
professions, nécessaire pour satisfaire les besoins de santé des
personnes et des populations.
|